Biblio : Habitudes alimentaires et comportements chez les enfants atteints du syndrome de Dravet : une étude cas-témoins

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Habitudes alimentaires et comportements chez les enfants atteints du syndrome de Dravet : une étude cas-témoins

Alexandra Laliberté, Lyna Siafa, Arij Soufi, Christelle Dassi, Sophie J. Russ-Hall, Ingrid E. Scheffer, Kenneth A. Myers

Article paru dans Epilepsia, The Open Access Journal of the International League Against Epilepsy

Première publication : 06 novembre 2024 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/epi.18179


 

Cette étude explore les habitudes alimentaires et les comportements des enfants atteints du syndrome de Dravet par rapport à un groupe témoin. Le syndrome de Dravet est une épilepsie rare associée à des troubles neurologiques complexes, souvent accompagnée de difficultés alimentaires spécifiques. Les chercheurs ont comparé les préférences alimentaires et les comportements alimentaires à l’aide de questionnaires validés, en examinant des données qualitatives et quantitatives.

Objectifs de l’étude

Identifier les préférences alimentaires spécifiques et les comportements associés chez les enfants atteints du syndrome de Dravet.
Comparer ces données avec celles d’un groupe témoin d’enfants en bonne santé.
Examiner l’impact des troubles alimentaires sur la qualité de vie des patients et de leurs familles.

Résumé

Cette étude a évalué les préférences alimentaires et les comportements alimentaires des individus atteints du syndrome de Dravet. Les patients diagnostiqués avec ce syndrome ont été recrutés, ainsi qu’un groupe témoin composé de frères et sœurs de patients épileptiques (toute forme confondue). Les questionnaires sur les préférences alimentaires (Food Preference Questionnaire) et les comportements alimentaires de l’enfant (Child Eating Behavior Questionnaire) ont été remplis par les aidants, accompagnés de deux questions ouvertes sur les défis liés à l’alimentation. Soixante-dix-huit participants (45 atteints du syndrome de Dravet et 33 témoins) ont été inclus. Comparés aux témoins, les scores moyens des préférences alimentaires étaient plus faibles pour les fruits (p = 0,000099), viandes et poissons (p = 0,00094), et collations (p = 0,000027) dans le groupe Dravet. Les individus atteints du syndrome de Dravet présentaient également une suralimentation émotionnelle moindre (p = 0,0085), un plaisir alimentaire réduit (p = 0,0012), mais une lenteur à manger (p = 0,00021) et une sélectivité alimentaire accrues (p = 0,0064). Une analyse du sous-groupe pédiatrique (âge < 18 ans) a montré des résultats similaires concernant les préférences et comportements alimentaires. Les données qualitatives recueillies indiquaient que les aidants signalaient fréquemment des fixations sur des aliments spécifiques. Cette étude met en évidence des préférences alimentaires particulières et des comportements alimentaires problématiques chez les individus atteints du syndrome de Dravet, offrant des pistes potentielles pour des interventions nutritionnelles et des thérapies comportementales afin d’améliorer leur qualité de vie et celle de leurs familles.

Mots-clés : anorexie, syndrome de Dravet, dysphagie, alimentation, nutrition, gastrostomie.

1 | Introduction

Le syndrome de Dravet est une encéphalopathie épileptique et développementale d’apparition infantile, associée à des crises fébriles et afébriles, débutant en moyenne à l’âge de 6 mois. Plus de 80 % des patients présentent des mutations pathogènes hétérozygotes du gène SCN1A, dont environ 90 % se produisent de novo. Bien que les crises pharmacorésistantes soient une préoccupation majeure, d’autres comorbidités significatives, telles que les troubles du développement, le handicap intellectuel, un risque accru de troubles du spectre autistique, des problèmes cardiovasculaires et des troubles du sommeil, affectent la qualité de vie des patients et de leurs familles. Parmi ces comorbidités, des défis liés à l’alimentation ont été signalés par les aidants, mais les comportements alimentaires spécifiques des patients atteints du syndrome de Dravet restent peu étudiés. Cette étude vise à explorer les préférences alimentaires et comportements alimentaires de ces individus en les comparant à un groupe témoin.

2 | Méthodologie

2.1 | Participants

Des patients atteints du syndrome de Dravet ont été recrutés dans les cliniques de neurologie de l’Hôpital pour enfants de Montréal (Canada) et la Dravet Clinic à Austin Health (Australie) entre janvier 2021 et janvier 2023. Un groupe témoin a été constitué à partir des frères et sœurs en bonne santé de patients épileptiques. Les aidants ont complété plusieurs questionnaires, notamment :

Questionnaire sur les préférences alimentaires (FPQ) : évaluant les préférences pour six groupes alimentaires (légumes, fruits, viandes et poissons, produits laitiers, collations, féculents) sur une échelle de -2 (déteste beaucoup) à +2 (aime beaucoup).

Questionnaire sur les comportements alimentaires de l’enfant (CEBQ) : évaluant huit dimensions alimentaires telles que la réactivité alimentaire, la lenteur à manger ou la sélectivité.

Deux questions ouvertes concernant les défis alimentaires rencontrés.

2.2 | Analyses statistiques

Les différences entre les groupes ont été évaluées à l’aide du test de Mann-Whitney et de modèles linéaires généralisés. Une méthode de correction Holm-Bonferroni a été appliquée pour gérer les comparaisons multiples.

3 | Résultats

3.1 | Données démographiques

Sur 69 patients atteints de Dravet contactés, 45 ont participé (34 âgés de moins de 18 ans), ainsi que 33 témoins (30 âgés de moins de 18 ans). L’âge moyen des participants Dravet était de 12 ± 10,6 ans contre 10,2 ± 5 ans pour les témoins.

3.2 | Préférences alimentaires et comportements alimentaires

Les scores des préférences alimentaires étaient significativement plus faibles chez les patients Dravet pour :

  • Fruits(p = 0,000099),
  • Viandes et poissons(p = 0,00094),
  • Collations(p = 0,000027).

Les comportements alimentaires observés incluaient :

  • Moins de suralimentation émotionnelle(p = 0,0085),
  • Moins de plaisir à manger(p = 0,0012),
  • Plus de lenteur à manger(p = 0,00021),
  • Plus de sélectivité alimentaire(p = 0,0064).

3.3 | Données qualitatives

Les défis rapportés comprenaient :

  • Fixations alimentaires (20 % des réponses),
  • Sélectivité accrue (15 %),
  • Difficultés avec les textures (10 %).

4 | Discussion

Cette étude confirme que les individus atteints du syndrome de Dravet présentent des difficultés alimentaires spécifiques, notamment des fixations sur certains aliments et une lenteur à manger, ce qui impacte leur qualité de vie. Une évaluation nutritionnelle approfondie et des interventions ciblées pourraient réduire ces difficultés et limiter le recours à des interventions plus invasives comme la gastrostomie.

Conclusion

Des stratégies visant à améliorer l’alimentation orale, ainsi qu’un soutien aux familles, pourraient significativement alléger la charge liée à ces comportements alimentaires problématiques.

Pour aller plus loin (extraits traduits de l’article)

Questionnaires

Le Food Preference Questionnaire (ou FPQ) est un questionnaire validé, comportant 75 aliments, rempli par les parents et visant à évaluer les préférences alimentaires des enfants.9 Les préférences alimentaires sont évaluées sur la base de six groupes d’aliments et des éléments associés : légumes (19 aliments), fruits (16 aliments), viandes et poissons (13 aliments), produits laitiers (9 aliments), collations (12 aliments) et féculents (6 aliments). Les soignants étaient invités à noter les préférences de leur enfant sur une échelle de 5 points : −2 = n’aime pas du tout, −1 = n’aime pas, 0 = ni aime ni n’aime, 1 = aime, et 2 = aime beaucoup. Une option “n’a jamais essayé” était également disponible, auquel cas l’aliment spécifique n’était pas noté. Pour chaque catégorie d’aliments, un score total était calculé en fonction des notations données aux aliments, divisé par le nombre total d’aliments de la catégorie. Les aliments sans réponse étaient soustraits du nombre total d’aliments de la catégorie.

Le Child Eating Behavior Questionnaire (ou CEBQ) est un questionnaire de 35 items qui évalue les habitudes alimentaires des enfants.10 Les comportements alimentaires sont mesurés à travers huit dimensions : réactivité à la nourriture (quatre items), plaisir de manger (quatre items), suralimentation émotionnelle (quatre items), envie de boire (trois items), sensibilité à la satiété (cinq items), lenteur à manger (quatre items), sous-alimentation émotionnelle (quatre items), et sélectivité alimentaire (sept items). Les parents devaient noter la fréquence des comportements de leur enfant sur une échelle de 5 points : 1 = jamais, 2 = rarement, 3 = parfois, 4 = souvent, et 5 = toujours. Pour cinq questions, l’échelle était inversée : 1 = toujours, 2 = souvent, 3 = parfois, 4 = rarement, et 5 = jamais.

Les comparaisons statistiques des préférences alimentaires et des comportements alimentaires des enfants entre les individus atteints du syndrome de Dravet et le groupe témoin ont été effectuées à l’aide du test de Mann-Whitney et d’un modèle linéaire généralisé avec approximation gamma et fonction de lien logarithmique. Une analyse de sous-groupe a été réalisée, comparant uniquement les participants pédiatriques (définis comme ayant moins de 18 ans). La méthode de Holm-Bonferroni a été utilisée pour corriger les comparaisons multiples. Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel IBM SPSS

Discussion

Notre étude met en évidence les grandes difficultés alimentaires observées chez les personnes atteintes du syndrome de Dravet. Cette population a tendance à présenter des préférences alimentaires spécifiques ainsi que des comportements alimentaires qui posent problème, tant pour l’individu que pour ses soignants. Nos résultats montrent que les personnes atteintes du syndrome de Dravet ont des préférences réduites pour certaines catégories d’aliments, notamment les fruits, les viandes, les poissons et les collations ; toutefois, leur affinité pour les produits laitiers et les féculents est similaire à celle des témoins. Les données du questionnaire sur les comportements alimentaires ont révélé que les personnes atteintes du syndrome de Dravet tirent moins de plaisir de l’alimentation, mangent plus lentement et sont plus difficiles que les témoins en bonne santé. Nos données qualitatives ont renforcé ces constats et ont également mis en évidence que les personnes atteintes du syndrome de Dravet peuvent développer une fixation excessive sur certains aliments, refusant parfois tout sauf quelques plats spécifiques.

Comprendre les difficultés alimentaires liées au syndrome de Dravet est extrêmement important, car cette morbidité peut avoir un impact grave sur la qualité de vie du patient et de sa famille. Le taux d’insertion de sondes de gastrostomie chez les personnes atteintes du syndrome de Dravet est significatif, mais varie considérablement selon les régions et les cultures : il atteint jusqu’à 17-18 % dans les données britanniques et néerlandaises, mais seulement environ 2 % dans la cohorte de la clinique Dravet d’Austin Health (données non publiées). La nécessité de telles interventions pourrait être réduite si des stratégies plus ciblées pour améliorer l’alimentation orale étaient développées.

Nos résultats complètent les données publiées sur l’alimentation dans le syndrome de Dravet. Minderhoud et ses collaborateurs ont mené une étude sur les problèmes gastro-intestinaux et alimentaires chez les individus atteints d’épilepsies liées au gène SCN1A, dont la majorité présentait un syndrome de Dravet. Ils ont observé des taux élevés de salivation excessive, de distraction pendant les repas, de constipation et de perte d’appétit. Une étude menée par Clayton et al. sur les gastrostomies et les difficultés alimentaires chez les personnes atteintes du syndrome de Dravet au Royaume-Uni a révélé que les difficultés alimentaires les plus fréquentes concernaient la sélectivité alimentaire et le faible appétit. Une enquête menée par Knupp et ses collègues a fourni davantage de détails sur la manière dont les difficultés alimentaires étaient perçues par les soignants. Dans leur large enquête, ils ont constaté que 99 % des soignants d’enfants atteints du syndrome de Dravet identifiaient au moins un symptôme lié à l’appétit, avec des difficultés alimentaires incluant une faible variété d’aliments consommés, des repas prolongés et une alimentation sélective.

Notre étude présente néanmoins certaines limites. Tout d’abord, les outils CEBQ et FPQ ont été conçus pour une population pédiatrique. Cependant, dans une cohorte d’individus présentant une déficience intellectuelle et nécessitant le soutien de soignants, nous avons estimé qu’il était approprié d’utiliser ces questionnaires également chez nos participants adultes. Nos résultats similaires entre les patients pédiatriques et adultes atteints du syndrome de Dravet suggèrent que cette approche était valide.

Cependant, bien que les âges moyens soient similaires entre les groupes atteints du syndrome de Dravet et les groupes témoins, nous n’avons pas pu effectuer un appariement précis des âges, ce qui pourrait affecter la fiabilité de nos résultats. Un diagnostic d’autisme avait été posé chez 22 % des individus du groupe Dravet, ce qui est cohérent avec ce qui a été rapporté précédemment. Étant donné que les patients autistes ont souvent des difficultés alimentaires, cela pourrait constituer un facteur de confusion. Une autre source possible de biais réside dans le fait que les données sur les préférences alimentaires ont été principalement recueillies auprès des soignants, sur la base de leurs interprétations des comportements de leurs enfants, plutôt que directement auprès des individus eux-mêmes qui remplissaient les questionnaires.

En conclusion, nous avons montré que la sélectivité alimentaire est fréquente chez les individus atteints du syndrome de Dravet et que des comportements alimentaires spécifiques sont plus marqués, notamment des exigences alimentaires, une lenteur à manger et une diminution du plaisir de manger. Pour répondre aux difficultés alimentaires chez les personnes atteintes du syndrome de Dravet, une évaluation nutritionnelle complète est recommandée, avec une surveillance attentive de la croissance et une prise en compte de thérapies psychologiques pour aider à traiter les comportements alimentaires problématiques avant d’envisager une gastrostomie. Des études supplémentaires explorant les raisons des différences culturelles et régionales dans l’insertion de gastrostomies chez les patients atteints du syndrome de Dravet et des encéphalopathies épileptiques développementales (EED) de manière plus générale pourraient également éclairer les stratégies de prise en charge et garantir que ces décisions permettent d’optimiser la qualité de vie des patients et de leurs familles. Un soutien aux soignants et aux familles devrait également être proposé par l’équipe soignante pour alléger le fardeau des difficultés alimentaires dans le contexte d’une maladie déjà très difficile à gérer.